
En résumé
• Prolifération des cyanobactéries ferme les plans d’eau et détruit le tourisme local.• Réchauffement climatique favorise ces pollutions, rendant la baignade souvent interdite.
• Manque de plan national pour gérer ce risque menace l'avenir des bases de loisirs rurales.
La saison touristique 2025 a tourné court au lac de Pont-l’Évêque, dans le Calvados. En cause : une prolifération de cyanobactéries, détectée mi-juillet, qui a entraîné l’interdiction immédiate de la baignade. Résultat, la fréquentation s’est effondrée de 90 à 95 %, passant de 1 500 visiteurs à une cinquantaine par jour. Cette situation illustre un phénomène en forte recrudescence dans toute la Normandie, où d’autres plans d’eau ont subi des fermetures similaires. L’enjeu dépasse le simple cadre local : il met en lumière une vulnérabilité structurelle des bases de loisirs face aux effets du réchauffement climatique.
Une interdiction brutale aux effets économiques immédiats
Le 18 juillet, l’Agence régionale de santé (ARS) de Normandie annonce l’interdiction de baignade au lac de Pont-l’Évêque. Les analyses d’eau ont révélé une concentration préoccupante de cyanobactéries, micro-organismes pouvant produire des toxines dangereuses pour l’homme et les animaux. La mesure, immédiate, a frappé de plein fouet l’économie touristique locale. En l’espace de quelques jours, la fréquentation du site s’est quasiment évaporée, selon Romain Hamon, président de Mab
Expérience, l’exploitant de la base de loisirs. Les activités nautiques ont été suspendues : paddle, bouées tractées, structures gonflables… rien n’a pu compenser la perte de la baignade. Le camping de 240 places a limité la casse, mais les vacanciers ne sont pas restés. Le site, situé à moins de 20 kilomètres de la côte, a perdu son attrait principal. Ce constat s’inscrit dans une tendance lourde : les bassins touristiques en milieu rural peinent à se réinventer quand leur produit-phare – ici, la baignade – devient inaccessible.
@alexandra.natamb mon petit lac de l été dans ma petite Normandie #pourtoi #normandie #lac #onadore ♬ son original – annees198090
Une prolifération aggravée par les conditions climatiques
La multiplication des épisodes de cyanobactéries s’explique par des conditions environnementales favorables : chaleur, ensoleillement, stagnation des eaux et nutriments présents dans les bassins. Autant de facteurs amplifiés par le réchauffement climatique. Pont-l’Évêque n’est pas un cas isolé. En août, plusieurs sites normands ont connu le même sort : lac de Brionne dans l’Eure, lac de Caniel en Seine-Maritime, Dathée dans le Calvados, ou encore la Ferté-Macé dans l’Orne. Dans certains cas, les interdictions se sont ajoutées à d’autres phénomènes, comme un pH trop élevé. Ce développement rapide des cyanobactéries, bien connu des experts depuis une dizaine d’années, semble désormais s’inscrire dans une périodicité régulière, sans solution généralisée.
Les produits capables de réduire leur présence existent, mais sont limités à de très petits volumes. À l’échelle de plans d’eau de plusieurs hectares, leur utilisation est impraticable. Les gestionnaires se retrouvent donc dans une impasse technique, contraints d’attendre la fin naturelle du phénomène, tout en subissant les pertes économiques.
Réactions locales : improvisation et tentatives de reconversion
Face à l’absence de réponse institutionnelle à grande échelle, les exploitants de bases de loisirs cherchent à diversifier leur offre. À Pont-l’Évêque, certaines activités terrestres comme le mini-golf, la promenade ou le canoë sans immersion ont été maintenues. Mais ces solutions ne compensent pas l’attractivité de la baignade, jugée centrale dans l’expérience estivale des visiteurs. Romain Hamon évoque la nécessité d’« attirer les gens autrement », tout en soulignant les difficultés d’investissement dans un contexte aussi incertain. En l’absence de visibilité sanitaire, les gestionnaires hésitent à s’engager dans des transformations coûteuses.
Pourtant, sans adaptation, ces sites risquent de perdre durablement leur rôle touristique dans les années à venir. Le modèle des bases de loisirs conçu autour de la baignade semble de plus en plus fragile face aux perturbations environnementales. Ce qui pose une question de fond : comment continuer à faire vivre ces espaces quand leur principale activité est régulièrement compromise ?
Une problématique nationale encore peu anticipée
Si le phénomène est localement très visible, sa prise en charge reste fragmentée à l’échelle nationale. Il n’existe aucun plan coordonné pour faire face à la prolifération des cyanobactéries dans les lacs français, alors même que leur présence tend à s’intensifier chaque été. À mesure que le climat se réchauffe, les périodes propices à leur développement s’allongent, rendant les interdictions plus fréquentes et plus longues.
Or, les lacs sont de plus en plus utilisés comme alternatives au littoral, notamment dans les territoires éloignés de la mer. L’absence de stratégie publique en matière de surveillance, de traitement ou d’aménagements alternatifs fragilise des filières entières du tourisme local. En l’état, ce sont les gestionnaires de terrain, collectivités ou structures semi-publiques, qui doivent gérer seuls les conséquences, sans appui technique ni financier structuré. La situation du lac de Pont-l’Évêque révèle ainsi une faille de gouvernance, qui pourrait s’élargir si aucune réponse structurante n’est apportée dans les prochaines années.