En résumé
• Les trains émettent moins de CO2 que les avions, mais peinent à s'imposer en Europe.• Les tarifs élevés et une fiscalité incohérente pénalisent la compétitivité ferroviaire.
• Complexité de réservation et disparités techniques freinent l'essor du rail en Europe.
Le rail incarne un mode de transport sobre, rapide et prometteur. Pourtant, à l’échelle européenne, il reste à la traîne face à son concurrent aérien. Alors que le dérèglement climatique impose une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, les trains à grande vitesse peinent toujours à s’imposer comme alternative naturelle à l’avion, y compris sur des distances moyennes. Derrière cette situation paradoxale, se cachent des déséquilibres économiques, des obstacles logistiques et des inerties politiques qui limitent l’essor d’un mode de transport toutefois largement plébiscité par les citoyens.
Un avantage écologique indéniable, mais peu valorisé
Le train est, de loin, le mode de transport longue distance le moins émetteur de CO2. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, un voyageur émet en moyenne 14 g de CO2 par kilomètre en train contre 285 g en avion. Sur des lignes comme Paris-Barcelone ou Lyon-Milan, l’impact climatique d’un aller-retour en train est jusqu’à 20 fois inférieur à celui d’un vol court-courrier. Pourtant, ces données ne suffisent pas à convaincre massivement.
Ce paradoxe s’explique en partie par l’absence d’une fiscalité cohérente entre les modes de transport. Alors que l’aviation bénéficie encore d’une exonération de taxe sur le kérosène au sein de l’Union européenne, les compagnies ferroviaires doivent s’acquitter de péages élevés pour accéder aux infrastructures nationales. Cette distorsion fiscale pénalise la compétitivité du rail et freine sa démocratisation.
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Une tarification peu lisible qui peut dissuader de prendre le train
Le prix du billet reste un frein majeur pour les usagers. Une étude de Greenpeace publiée en 2023 révélait qu’en Europe, le train est en moyenne deux fois plus cher que l’avion pour un même trajet. Sur certaines liaisons, comme Madrid–Londres ou Vienne-Bruxelles, la différence de prix peut atteindre un facteur de cinq, voire dix.
Cette situation découle en partie des modèles économiques divergents. Les compagnies aériennes à bas coût optimisent leurs opérations pour offrir des tarifs attractifs. Pour ce qui est des entreprises ferroviaires doivent assumer des coûts d’exploitation élevés liés à l’entretien du réseau, à la gestion des gares et à la diversité réglementaire entre pays.
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Les aides publiques, elles, sont souvent orientées vers l’aérien. En 2020, à la suite de la pandémie de COVID-19, plusieurs gouvernements européens ont soutenu leurs compagnies nationales par des plans d’aide massifs, sans contrepartie environnementale significative. À l’inverse, les investissements dans le rail transfrontalier restent limités, malgré les objectifs fixés dans le cadre du Green Deal européen.
Des obstacles techniques et politiques persistants
Au-delà de l’aspect tarifaire, la complexité du voyage ferroviaire en Europe constitue un autre frein. Contrairement à l’avion, il n’existe pas de système de réservation unique et centralisé. Les voyageurs doivent souvent jongler entre plusieurs plateformes pour réserver un billet international, avec des tarifs peu clairs et des correspondances mal coordonnées.
Les normes techniques fragmentées aggravent ces difficultés. Chaque pays dispose de son propre système de signalisation, de voltage ou de gabarit, rendant l’interopérabilité complexe. La libéralisation du marché ferroviaire, amorcée depuis une dizaine d’années, progresse lentement et reste entravée par des intérêts nationaux et un manque de volonté politique commune.
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Dans les faits, les liaisons transfrontalières n’ont cessé de reculer depuis les années 2000, au profit des vols low-cost. Un exemple emblématique est celui du trajet Amsterdam-Bruxelles-Paris, où la multiplication des contrôles et des incidents techniques rend le rail moins fiable et moins attractif que l’aérien.
Vers une bascule possible du modèle ?
Face à l’urgence climatique, plusieurs signaux faibles laissent entrevoir une prise de conscience progressive. En France, la loi Climat de 2021 a interdit certains vols domestiques lorsqu’une alternative ferroviaire de moins de 2h30 existe. L’Allemagne a supprimé la TVA sur les billets de train longue distance, entraînant une hausse de fréquentation. L’Espagne, de son côté, a libéralisé son marché intérieur, favorisant l’arrivée de nouveaux opérateurs et la baisse des prix sur certaines lignes.
Mais ces initiatives restent isolées et inégales. Une transition structurelle supposerait une approche coordonnée à l’échelle européenne : harmonisation des péages, réforme de la fiscalité du transport, investissements massifs dans l’infrastructure transfrontalière, déploiement de solutions de billetterie unifiée. Ce n’est qu’à ce prix que le rail pourra devenir une véritable alternative de masse à l’avion.
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L’Année européenne du rail, célébrée en 2021, avait suscité de grands espoirs. Quatre ans plus tard, ils peinent encore à se concrétiser. La révolution ferroviaire est techniquement prête. Ce sont les décisions politiques et économiques qui manquent toujours d’ambition.